Selon l’Observatoire de l’Ubérisation, le secteur de l’expertise comptable est lui aussi concerné par le phénomène d’ubérisation : explications de Grégoire Leclercq, président de la FEDAE, cofondateur de l’Observatoire de l’Ubérisation et président d’itool Systems, éditeur de logiciels de comptabilité et de gestion en ligne.
Comment se définit l’ « ubérisation » et quelle est la différence avec l’économie collaborative ?
L’ubérisation, c’est un « mot valise » qui décrit un phénomène de fond, qui émerge sous les efforts conjugués de trois leviers :
• l’émergence du numérique (la révolution digitale),
• la forte augmentation du volume de travailleurs indépendants (la révolution des freelances)
• l’évolution des habitudes de consommations des Français (la révolution de consommation).
Cette triple révolution, puissante et inexorable, génère une révolution de nos modèles économiques, vulgairement appelée uberisation, ou disruption. Elle est évidemment génératrice d’un rapport de force parfois violent entre les acteurs traditionnels et les acteurs émergents qui tirent profit, souvent plus rapidement, de cette révolution.
L’économie collaborative (ou économie du partage) n’est finalement qu’un des aspects de cette révolution, car elle ne repose que sur deux des trois leviers, à savoir le premier (il faut une plateforme numérique pour industrialiser la collaboration) et le dernier (consommer en partageant, louer un actif plutôt que l’acquérir…) et elle est souvent réalisée dans un but non lucratif (BlaBlaCar par exemple, C2C dans tous les cas).
D’où vient l’ubérisation ?
C’est bien l’émergence du « digital pour tous » qui a été le grand déclencheur. La révolution numérique n’est en soit pas nouvelle, mais c’est sa généralisation à la totalité de nos univers, la présence d’outils numériques dans tous les actes de notre vie qui a fait petit à petit évoluer notre façon de consommer, et de travailler.
Objets connectés, smartphones, applications Cloud, numérisation de tous nos outils de travail, de soin, de consommation… ont rendu le consommateur friand et acculturé. Et ceci est d’autant plus vrai que vous adressez un public jeune. Ainsi, par le digital, nos réflexes de consommation se sont petit à petit modifiés.
De l’autre côté, il faut noter la présence en grand nombre sur le marché d’acteurs indépendants capables de réaliser de nombreuses missions payées à la tâche. Cette force de travail est demandeuse, et facilement mutualisable autour de plateformes (d’où le terme souvent employé de plateformisation).
Parmi les secteurs ubérisés ou en cours d’ubérisation, comment se positionne celui de l’expertise comptable ?
L’expertise comptable est encore relativement protégée.
En effet, l’angle collaboratif (partage de biens et services, d’éducation, de production, de gouvernance) n’est pas un levier réel d’ubérisation de la profession : on ne partage pas un expert-comptable. Tout au plus, on le recommande à sa communauté via des réseaux, souvent humains et rarement numériques. C’est l’éternelle histoire de la réputation, et jusque-là, rien n’est vraiment nouveau.
L’autre angle est celui de l’intermédiation. Une start-up bien financée a encore la capacité de référencer les experts-comptables selon de nombreux critères (adresse, notation, spécialité, prix, disponibilité, ancienneté). Sous réserve de se faire très bien connaître, elle apporterait indéniablement un réel avantage au client final, et comme Booking ou TripAdvisor/La Fourchette, l’impact à moyen terme est évident : la relation clients directe est coupée entre le client et le cabinet par la plateforme qui devient à la fois la marque de référence et le pourvoyeur de nouveaux clients. C’est une défragmentation du marché à prévoir, qui impacte aujourd’hui de nombreux secteurs juridiques.
Que cela change-t-il pour les cabinets d’expertise comptable ?
Cela pose la question de la qualité !
Il faut être clair : c’est toujours en faisant le constat d’une large insatisfaction - ressentie ou réelle - que les startups émergent pour attaquer un marché en faisant la promesse d’un meilleur service. L’argument est qu’il sera plus transparent, plus immédiat, moins cher, de meilleure qualité… Cela implique donc nécessairement pour les cabinets un recentrage sur leurs fondamentaux : suis-je capable d’acquérir de nouveaux clients par moi-même, de mieux servir mon client, et enfin de le conserver ?
La mise en place législative récente du full service dans les cabinets ainsi que des sociétés pluriprofessionnelles entre les professionnels du chiffre et du droit répond-elle à cette nouvelle demande ?
Le full service est une stratégie de développement qui consiste à offrir un service le plus exhaustif possible : comptabilité, conseil en financement, gestion de patrimoine, préparation des factures, relance clients, domiciliation, gestion du courrier, conseil informatique… C’est une façon tout à fait habile de recréer de la valeur. Car l’enjeu est bien là pour le cabinet.
D’une part, parce qu’à l’heure de l’automatisation des tâches, des architectures Cloud, des logiciels d’intégration bancaire complets, de révision de bout en bout, de vérification de tenue de comptes, d’établissement des actes juridiques, etc. la valeur ajoutée du cabinet est difficilement perceptible par le client.
D’autre part, par souci évident de simplicité pour le client qui ne comprend pas pourquoi il lui faut 4 interlocuteurs différents pour traiter le panier des « contraintes administratives et comptables ». En cela, les sociétés pluriprofessionnelles sont un autre axe réellement envisageable pour la profession.
Menace ou opportunité pour la profession comptable ?
Toute évolution est une menace pour celui qui n’évolue pas, et un formidable levier pour celui qui s’en empare. Au niveau du conseil supérieur, il faut se réjouir que la profession soit petit à petit dépoussiérée, modernisée, et le tout en douceur. Le contexte est beaucoup plus placide que celui des taxis ou des restaurateurs, et c’est tant mieux. Il est même favorable à l’émergence de plateformes d’intermédiation portée par la profession !
Au niveau du cabinet, il est évident que celui qui optimisera ses processus et ses outils, développera de nouvelles compétences en conseil, ou encore soignera sa relation clients, sera plébiscité, voire accélérera sa croissance en garantissant une forte notoriété.
Quelle est l’évolution probable des pratiques des cabinets ? Et celle des attentes des clients ?
Les cabinets de demain seront de toute évidence de véritables boulimiques des nouvelles technologies. Outil de production partageant certaines interfaces avec le client, portail client puissant, suivi en temps réel des informations clés de l’entreprise, notation de la prestation par le client, référencement du cabinet sur de nombreuses places de marché, élargissement de l’offre à plus de conseil, segmentation prévisible du nombre de cabinets en fonction de leurs compétences… Les moyens à engager étant importants, il est probable que les petites structures se portent moins bien à l’avenir et que le marché aille vers plus de groupements ou plus de cabinets de taille importante.
L’entreprise sera nécessairement plus exigeante, plus impatiente et plus sensible à la relation que le cabinet lui consacrera. Mais saura reconnaître aussi un cabinet sérieux par une bonne notation, une bonne recommandation et une vraie fidélité !
Interview de Grégoire Leclercq,
Saint-Cyrien, diplômé d'HEC Paris, président de la FEDAE, cofondateur de l'Observatoire de l'Ubérisation et président d’itool Systems, éditeur de logiciels de comptabilité et de gestion en ligne.
Selon l’Observatoire de l’Ubérisation, le secteur de l’expertise comptable est lui aussi concerné par le phénomène d’ubérisation : explications de Grégoire Leclercq, président de la FEDAE, cofondateur de l’Observatoire de l’Ubérisation et président d’itool Systems, éditeur de logiciels de comptabilité et de gestion en ligne.
Article publié dans les éditions Francis Lefèbvre:
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